mardi 29 juin 2010

RALPH LAUREN: SOUS LES FEUX DE LA RAMPE... ET DE LA CRITIQUE

Cela faisait plus d'un mois que nombre de mes amis me tannaient le cuir pour me rendre à la nouvelle boutique de Ralph Lauren, annoncée comme la plus grande de la maison sur le continent européen. Tous s'étaient joints à la procession des "fashion people" et avaient fait le pèlerinage pour se rendre sur le lieu Saint: le 173, boulevard Saint-Germain.
Et en étaient revenus enchantés, élogieux et dithyrambiques:
-"Magnifique !
- Sublime !
- Hallucinant !
- Quoi ?! Tu n'y es pas encore allé ?!!!
- Il faut ABSOLUMENT que tu vois ça !"

En général, je n'aime pas la frénésie qui entoure un évènement. Cette espèce d'excitation artificielle qui crée une attente telle que lorsqu'on découvre l'objet du désir, on est forcément déçu.
Il faut dire aussi, pour être tout à fait franc, que ma nonchalance était liée à mon désintérêt pour Ralph Lauren. J'ai toujours trouvé leurs campagnes ringardes et les collections estampillées "bon goût américain" totalement ennuyeuses.
Quant à la marque RL, je l'ai toujours considérée comme une ligne noyée dans le flot des marques jeanswear; aussi passionnante que les championnats du monde de curling... Bref, pas ma came.

J'ai donc laissé passé deux mois après l'ouverture pour aller visiter les lieux, par une chaude journée écrasante.
Un peu comme au cinéma, lorsqu'on va voir un film longtemps après sa sortie, histoire d'échapper à la transhumance et au battage médiatique qui pourrait nous empêcher de nous faire un avis totalement objectif, là, confortablement calé, au fond de la salle obscure, au frais (ou au chaud selon la saison).
Qu'est-ce qui aurait pu me faire aimer un bon plan marketing, aussi beau soit l'écrin ?

Ne voulant pas mourir idiot et réalisant que pour cela, le transport jusqu'à Saint-Germain-des-Prés serait plus rapide que la lecture entière de la saga des Rougon-Macquart, j'y suis allé.

Bien m'en a pris. J'ai été totalement conquis par le lieu bien sûr (marketing réussi) mais même par certains éléments de la collection.
J'ai été transporté par mes déambulations et suis ressorti totalement bouleversé par ce temps suspendu que je venais de vivre et qui a duré presqu'une heure.
Alors que j'étais ravi de cette découverte et prêt à faire mea culpa de mes préjugés, je suis tombé sur quelques articles qui ont soudainement mis un bémol à mon enthousiasme.
C'était trop beau pour être vrai: le lustre n'était donc pas aussi brillant que ce que j'avais vu ?



173, BOULEVARD SAINT-GERMAIN: "ICI TOUT N'EST QU'ORDRE ET BEAUTE, LUXE, CALME ET VOLUPTE"

Ralph Lauren, dont l'empire est né d'une simple boutique de cravates en 1967 voulait que ce nouvel espace, sur la rive gauche, soit un évènement:
"J'ai voulu créer un espace évoquant le glamour, la culture et l'esprit artistique de Paris, dont je suis tombé amoureux".
En jetant son dévolu sur un hôtel particulier du XVIIe siècle de 2150 mètres carrés, classé aux monuments historiques, il a rempli son ambition.
Le lieu est superbe et magnifiquement restauré; toute sa réussite consiste à nous faire déambuler dans un espace à la fois majestueux et intime. On a l'impression de visiter les appartements d'une famille de la haute-bourgeoisie ou de l'aristocratie.
On se promène au travers de pièces en enfilades alternant les collections et les ambiances et parsemées de cabines d'essayages.




Elles sont distribuées autour d'un grand escalier avec boiseries couvertes de portraits et peintures expressionnistes, desservant cinq étages et s'articulant autour d'un magnifique ascenseur en métal typiquement parisien.

Chaque étage est dédié à une ligne de la marque (Black label, Blue Label, Collection pour les femmes; Black Label, Purple Label et Polo pour les hommes) ainsi que les accessoires et l'horlogerie.


Le dernier étage, lui, est consacré à double RL avec de sublimes bijoux (Harpo ?)

Je dois avouer que j'ai été complètement séduit par la maroquinerie et les pièces en cuir et en daim de la ligne COLLECTION qui sont magnifiquement manufacturées.

Le reste m'a moins plu, mais ça je le savais déjà. Le flacon est si beau, qu'importe l'ivresse...
Tout le brio de l'affaire réside dans sa mise en scène bien sûr: ambiance chic et feutrée qui allie la beauté américaine au chic français. Les pièces sont emplies d'objets chinés qui plantent le décor et déroulent l'histoire des collections. 


Le comble du raffinement est atteint avec un restaurant ,"le Ralph's" qui vous vend de la nourriture américaine presque au prix de la gastronomie française (il faut dire que la viande est directement issue des cheptels de Ralph Lauren en Amérique du Sud !).
Ce restaurant, aménagé au rez-de-chaussée et dans les anciennes écuries, est cosy comme un club pour gentlemen et bénéficie d'une sublime terrasse pavée et arborée installée dans le patio. 

Je suis ressorti totalement ébahi et léger mais mon enthousiasme est vite retombé lorsque j'ai appris ce qui se cachait derrière ce fabuleux décor.
Car tout cela a un prix et j'aurais voulu croire qu'il était seulement dû à la maestria de Ralph Lauren. En fait, le prix cassé du travail de travailleuses indonésiennes permet aussi ce rêve merveilleux...

PT MULIA KNITTING FACTORY: LA-BAS, LE PRIX DE LA SUEUR

Le jour de l'ouverture de sa boutique germanopratine, Ralph Lauren a reçu la légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy, en présence de Karl Lagerfeld, son ami , lui-même honoré de la même façon deux mois plus tard (cf. l'article le K. Lagerfeld).
Le mois d'avril semblait commencer sous de bons auspices pour le créateur américain, sauf que l'organisation de la Fédération des Peuples solidaires a décidé qu'il en irait autrement.
En effet, elle a dénoncé l'honneur qui lui a été fait par la France, le contestant en raison du fait que le designer "ignore depuis plusieurs années les demandes qui lui sont adressées par les ouvrières indonésiennes qui fabriquent ses vêtements et dont les droits sont bafoués".
L'association a rendu public un communiqué de presse déclarant:
"A l'heure où Ralph Lauren s'apprête à recevoir des mains du chef de l'état la légion d'honneur, les conditions de travail dans lesquelles sont fabriqués les vêtements de luxe portant son nom demeurent très en-deçà de ce qu'exigent les normes fondamentales internationales du travail".
"Plusieurs fois sollicité à ce sujet, Ralph Lauren refuse de répondre, ajoute-t'elle, rappelant que, les conditions de travail chez un de ses fournisseurs ont déjà valu plusieurs campagnes de dénonciation et de procès" au groupe américain.
L'organisation fait valoir qu'en 2008, Peuples Solidaires avait lancé un "appel urgent dénonçant le licenciement abusif, un an plus tôt, de dix neuf salariés d'une de ses usines sous-traitantes en Indonésie".
Ce licenciement aurait eu lieu en raison de "la création par ces salariés d'un syndicat pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail".
Malgré le bruit fait autour de cette affaire auprès de la société Ralph Lauren, "rien n'a bougé" trois ans après.
PT Mulia knitting factory, l'usine incriminée, "multiplie les contrats précaires et applique une politique discriminatoire envers les femmes. Elle refuse de payer les congés maternité et les indemnités obligatoires de santé et de retraite auxquels ces travailleuses ont droit".
Elles ne bénéficient pas non plus des équipements de sécurité adéquats qui leur permettraient de travailler dans des conditions sûres."
L'ensemble de ces infractions est faîte à la fois à l'encontre du droit indonésien mais aussi au mépris des normes fondamentales du travail contenues dans le droit international.

L'organisation s'étonne de la cécité et du silence de la compagnie américaine sur ces violations d'autant qu'en 1997,  la Société Ralph Lauren a élaboré un code de conduite de son entreprise et participe régulièrement à "divers programmes philanthropiques", ce qui l'amène à "être vue comme une entreprise vertueuse".
L'organisation interprète la position de Ralph Lauren comme admettant la violation des droits de ses sous-traitants. Elle dénonce le fait qu'il les laisse perdurer, alors que de son côté, Tommy Hilfiger, confronté à ce type de problème, a accepté d'engager des discussions à ce sujet.
Même si des solutions n'ont pu être trouvées, l'acceptation de Hilfiger a mis en exergue, la passivité de Ralp Lauren.

Cette découverte a pas mal gâché mon plaisir. Tout à coup, je n'ai plus vu du même oeil, les polos colorés joliment pliés et rangés dans un souci de mise en scène chic et glamour. Les coulisses encombrées sont venues déranger cette armoire bien proprette.
Et puis, du coup, il est encore moins question que j'aille manger un vulgaire hamburger facturé 25 euros, aussi joli soit l'écrin-jardin où il me sera servi...

samedi 26 juin 2010

MOD'ART

HUGH BURNS

Pendant longtemps, la mode a été considérée, au pire comme un artisanat, au mieux comme un art appliqué.
A travers l'histoire de l'humanité, jamais avant le XXe siècle, elle n'avait été envisagée sous un angle artistique.
Le milieu de la mode a d'ailleurs, souvent nourri un complexe d'infériorité vis à vis du monde de l'Art; nombre de stylistes ou de créateurs se rêvant artistes.
Le XXe siècle est venu bouger les lignes, faisant entrer les pièces de couturiers dans les musées ( Musée de la mode d'Anvers, Musée de la mode de Hyères, expositions récurrentes sur le sujet au Albert Museum de Londres, au Musée des Arts Décoratifs de Paris, au Metropolitan de New-York) et faisant acquérir par une poignée d'avertis richissimes des oeuvres d'art au même rythme qu'ils achètent des chemises.

Auparavant, quels que soient les siècles, les cultures et les sociétés, la mode vestimentaire n'avait aucune velléité artistique. Sa fonction était avant tout utilitaire, soit pour affirmer une appartenance sociale, soit pour plaire aux Dieux.
La beauté et la magnificence n'y étaient pas désintéressées comme elles le sont dans l'Art. Au contraire, la vocation était d'affirmer un pouvoir ou de tenter de plaire à la toute-puissance des Dieux.

En Egypte ancienne, par exemple, les bijoux portés par les hommes et les femmes n'avaient pour but que de distinguer les classes aisées des paysans.
Si ces pièces trônent aujourd'hui dans les musées et ont acquis valeur d'oeuvres d'art, elles étaient très loin de cette notion, à l'époque.
Le vêtement était surtout utilitaire et révélateur d'une appartenance à une caste.
Les Pharaons étaient parés de leurs plus beaux atours pour faciliter leur entrée dans le monde des Morts et entrer en contact avec les Dieux.

Les siècles suivants continuent à perpétuer ces fonctions de la mode, la laissant bien en deçà des hautes sphères artistiques.
Les seules connections que l'on pourrait établir entre mode et art à travers ces siècles se lit sur les tableaux des portraitistes attachés aux cours et grandes familles d'Europe où la peinture ayant pour but de "photographier" le sujet, le fait à coup de moult détails académiques, notamment vestimentaires.
Man Ray reproduira le procédé en photo plus tard, immortalisant les plus grandes égéries de la mode du début du XXe siècle (Nancy Cunard, Lee Miller, etc...).


C'est certainement avec Paul Poiret, au XXe siècle naissant, que mode et art vont commencer à collaborer. Couturier français, Paul Poiret fut considéré comme le précurseur de l'Art Déco. Il débute comme dessinateur de mode en 1898 chez Doucet, travaille ensuite pour la maison Worth avant de lancer sa maison de couture. Passionné par le dessin, il demande à Paul Iribe de dessiner son catalogue, "les robes de Paul Poiret dessinées par Paul Iribe".
Il lancera des imprimés audacieux pour l'époque en collaboration avec le peintre Raoul Dufy.
En 1928, il publie un annuaire de luxe à Paris, illustré de cent seize pages en noir et blanc et couleur par les plus grands artistes de l'époque: Boucher, Cocteau, Dufy, Foujita, Sem, ...

Elsa Schiaparelli, la rivale de Coco Chanel puisera encore plus directement dans le travail de ses amis artistes, membres du mouvement surréaliste: Cocteau, Giacometti, Dali. C'est ce dernier qui lui inspira ses modèles les plus célèbres dont la fameuse robe cocktail au homard peint directement sur le tissu. Cette robe fera d'ailleurs l'objet d'une nouvelle interprétation par la jeune marque Heal
  
                                                                                                        
Saint-Laurent, quant à lui, trouvera avec la robe trapèze, si flatteuse pour la silhouette, la base parfaite pour y appliquer les motifs géométriques de Mondrian.
A la même époque, dans les années 60, les révolutions politiques, intellectuelles et esthétiques vont enrichir la collaboration entre art et mode. Le 7e Art sera un lieu d'expression où les artistes feront une place plus ou moins stéréotypée à la mode en l'utilisant comme sujet de leurs films. Ce sera le cas de l'artiste William Klein et son délire psychédélique avec "Qui êtes-vous Polly Maggoo?" ou Antonioni qui mènera une réflexion sur le pouvoir de suggestion de l'image à travers le personnage d'un photographe de mode dans le mythique "Blow up". 

Aujourd'hui, les liens entre la mode et l'Art, notamment contemporain, sont de plus en plus ténus, les deux univers fusionnant parfois.
Dès les années 70 et 80, les illustrateurs, devenus faiseurs d'images avec l'époque, font des ballets incessants entre l'art, la mode et la publicité: Antonio Lopez pour Saint-Laurent, Jean-Baptiste Mondino pour Mugler, Jean-Paul Goude pour Gaultier.
Les créateurs et les stylistes ont toujours eu une riche culture artistique dont ils nourrissent leur travail mais aujourd'hui certains ont décidé d'aller plus loin: Agnès B. a ouvert sa propre galerie, Marc Jacobs collectionne les artistes et les designers contemporains, Vanessa Bruno collabore avec son frère photographe et vidéaste.
Pendant longtemps, l'inverse n'a pas été vrai. Les artistes se souciaient peu de la mode. Mais avec la jeune génération d'artistes actuels les choses changent. Purs produits de leur époque faîte de valeurs marchandes et ayant vu, parfois, eux-mêmes, le prix de leurs oeuvres exploser, ils ne rechignent pas à mettre un pied dans la mode, créatrice de désirs consuméristes.
Certains peignent ou photographient les figures du milieu (Elizabeth Peyton), d'autres s'improvisent mannequins (Tracey Emin pour Vivienne Westwood), les derniers interviennent directement sur la création des collections des maisons (Stephen Sprouse -même post mortem- ou Murakami pour Vuitton).

Des artistes comme Vanessa Beecroft ou Sylvie Fleury font même le chemin inverse. Elles ne mettent pas leur art au service de la mode mais c'est directement en elle qu'elles trouvent leur inspiration. La performance de Beecroft ci-dessous rappelle les créatures d'Helmut Newton.                                                     

De nombreux photographes ont fait des séries de mode pour des raisons alimentaires, loin de s'imaginer qu'ils allaient donner à la profession certaines de ses plus belles lettres (images ?) de noblesse. Ce fut le cas d'Avedon, de Lee Miller ou de Steichen,...
D'autres comme Guy Bourdin ont élevé la photo commerciale de mode au rang d'oeuvre d'art. Le Albert Museum de Londres lui a même consacré une rétrospective pour sa saga publicitaire "shootée" dans les années 80 pour la maison Charles Jourdan.             


De nos jours, l'image et la photo, ayant pris une place prépondérante dans nos sociétés, les magazines de mode multiplient les clins d'oeil aux oeuvres d'artistes, quels que soient leur mode d'expression, leur courant ou leur époque. Le jeu étant de trouver l'oeuvre, le tableau qui correspondra le mieux à l'expression des tendances du moment.
Petits exemples avec Archimboldo et Dante Gabriel Rossetti...  
     
          Archimboldo (ci-dessus)     Dante Gabriel Rossetti (ci-dessous)
                                                  


La rétrospective consacrée à Yves Saint-Laurent au Grand Palais cet hiver a frappé les esprits tant l'évènement était nouveau. Pour la première fois en France, un grand musée national ouvrait ses portes à un couturier, élevant par là-même son savoir-faire au rang des arts.
Le XXe siècle et aujourd'hui, le XXIe ont permis le décloisonnement des disciplines pour le plus grand plaisir des yeux. Et c'est tant mieux...
Cependant, l'idée de voir nos musées se transformer en boutiques scénarisées, les vêtements y étant présentés fussent-ils de haute-couture, peut avoir quelque chose de déprimant.
Parce qu'un vêtement ne sera jamais aussi beau et vivant que porté par un corps en mouvement...
                                               

                                                   

jeudi 24 juin 2010

LE K. LAGERFELD

Karl Lagerfeld a encore frappé fort: le voilà invité spécial de l'édition du 22 Juin du journal Libération.
Il y parsème les articles de fond de croquis exécutés aux fards U Shu Uemura.
Celui qui est vénéré par toute la planète fashion multiplie les casquettes et les projets dans un tourbillon de suractivité.
La sécurité routière, l'habillage et la campagne Coca Cola Light, les multiples collections de Chanel, Fendi, Lagerfeld Gallery (mais aussi la ligne K. par Karl Lagerfeld), la photo, sa maison d'édition 7L, ses articles sur l'architecture,... rien ne l'arrête.
Touche-à-tout et omniprésent, le grand Karl occupe l'espace laissé vacant par les derniers grands créateurs.
Ancré dans le présent, il applique à la lettre l'héritage laissé par Andy Warhol en y ajoutant sa propre dimension: bâtir lui-même son mythe.

KARL LAGERFELD: UN PRODUIT WARHOLIEN

Bien qu'il prétende ne pas l'apprécier, confiant à Libération:

"La Factory est un cliché d'une autre époque, de quelqu'un qui, entre nous, n'était pas très bon."

Lagerfeld doit plus à l'artiste albinos qu'il ne veut l'admettre, ne pouvant s'empêcher d'ailleurs de faire un parallèle entre leurs deux personnalités:
"Je connaissais Warhol mais ça ne veut rien dire; personne ne le connaissait intimement. Il était encore plus abstrait que moi..."
En effet, comme le Patron de la Factory à la sienne, Lagerfeld a compris son époque : l'hyperpuissance des médias et de la consommation de masse.
Tout comme Warhol a réifié Marylin Monroe ou Liz Taylor, Lagerfeld se chosifie lui -même. Premier styliste de son époque, statut auquel il a donné ses lettres de noblesse en multipliant les produits Chloé pendant plus de vingt ans, il est peu à peu devenu un objet au même titre que ses créations.
Comme le souligne le journal Libération, "il est l'un des rares personnages que l'on reconnaît au premier coup d'oeil, serait-il vu de Mars."
Comme les boîtes de conserve de soupe Campbell, K. Lagerfeld voit sa silhouette "photoshopée" accolée à la bouteille de Coca Light qu'il vient de redessiner.
Son catogan, son slim hérité de l'époque Slimane chez Dior Homme et sa ligne délestée, depuis 2002, des 42 kgs qui l'encombraient, envahissent l'espace médiatique.
De jeunes créateurs l'utilisent même comme branding: personne n'a raté le fameux KARL WHO ? de la jeune maison iconoclaste Narco.

Quoiqu'il en dise, Karl Lagerfeld a fait sienne la prédiction de Warhol: devenir célèbre grâce à la télévision.
Certains le décrivent comme discret, la preuve étant, par exemple, qu'il refuse de rédiger son autobiographie. Ce n'est qu'illusion. Le Kaiser de la mode a très vite compris ce que les médias peuvent lui apporter en notoriété. Et il faut dire qu'il a l'esprit assez vif et la langue bien pendue pour y briller. A une époque où il n'y a plus le temps pour une réflexion approfondie, les phrases légères et assassines de Lagerfeld font mouche. Parfaitement formatées pour la télévision et la presse jetable. Comme les collections, il enchaîne les mots d'esprit drôlement vachards.
Celui qu'on décrit comme très occupé, trouve toujours un moment pour descendre dans l'arène médiatique: M. Lagerfeld a un avis sur tout et le fait savoir. Dernier raout en date: Audrey Tautou taxée de "provinciale".

Les shows de ses défilés sont aussi un parfait exemple de ce que doit la mode à la société du spectacle. Lors du dernier défilé Chanel Hiver 2010-2011, la présence d'immenses icebergs sous la verrière du Grand Palais a plus fait gloser les rédactrices que le contenu de la collection.
Il nous promet pour la prochaine saison, un lion de 25 mètres de haut, la patte reposée sur une perle d'où sortiront les mannequins. Génie créatif ou mégalomanie ? Assurément spectaculaire et KL a bien compris comment faire parler de Chanel... et donc de lui.
Son goût pour le spectacle et la mise en scène lui est rendu au centuple par les medias: on ne compte plus les reportages de Loïc Prigent sur le Monsieur sans compter le documentaire que lui a consacré Rodolphe Marconi, présenté à Berlin, il y a deux ans.

Enfin, tout comme Andy Warhol a eu sa cour, KL possède la sienne. Il s'en défend mais comme Warhol a façonné Joe Dalessandro, Karl façonne Baptiste Giacobini (et Jacques de Bascher avant lui ). Tout comme Warhol  a eu Nico et Ultra Violet pour muses, Lagerfeld possède Amanda Harlech et Freja Beha.
Il prétend détester l'effet de bande mais force est de consater qu'il n'échappe pas au commun des mortels.

Cette omniprésence médiatique du styliste au catogan a un but précis: l'édification de son propre mythe.

KARL LAGERFELD: UN PRODUIT MYSTIFIE

Dans son ouvrage, "Beautiful People", Alicia Drake souligne l'effacement de Lagerfeld durant le règne d'Yves Saint-Laurent. Ce dernier, élevé au Panthéon des créateurs laisse peu de place à celui qui n'est considéré que comme un styliste.
A la mort de Saint-Laurent et avec lui, celle d'une époque révolue, Lagerfeld a le champ libre.
L'ancêtre des stylistes peut enfin prendre ses aises dans un monde qui leur appartient désormais: le créateur est mort ? Vive le styliste !
Alors que Pierre Bergé, du vivant de Saint-Laurent, mais encore bien plus depuis sa mort, s'emploie à bâtir la légende de ce dernier, Lagerfeld va s'employer à bâtir la sienne tout seul.
Il va d'abord semer le doute afin de créer le mystère. Il dit par exemple être né en 1938 alors que certains prétendent qu'il serait né en 1933. Le procédé relève des plus grosses ficelles des stars hollywoodiennes des années 40, Greta Garbo en tête.
De même, il ne cesse de donner des informations contradictoires sur ses origines sociales et familiales, n'hésitant pas à embellir la réalité. Un vrai procédé romanesque de mystification...

Lagerfeld se joue de ces approximations qui nourissent l'interrogation et l'imaginaire de ses interlocuteurs. De toute façon, il n'a jamais peur de se dédire, déclarant par exemple que les grosses n'ont pas leur place dans la mode et photographiant l'effeuilleuse grassouillette, Dirty Martini, sur l'escalier de la Maison Chanel, rue Cambon, pour le magazine américain V, quelques semaines après. Faire parler...
Et puis qu'on se le tienne pour dit, M. Karl assène:
"Mon plus grand luxe est de n'avoir à me justifier auprès de personne".
Assurant ne pas aimer les récompenses, il accepte La Légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy, le 3 Juin dernier, comme il a d'ailleurs accepté le Prix du meilleur styliste haute-couture, il y a quelques années.

Tout son talent réside dans sa capacité à ramener la moindre des conversations à son savoir ou à sa personne. Il ne cesse au fil de ses interviews de parler de ses lectures et de sa bibliothèque mais aussi de sa capacité à lire en anglais, allemand ou français. Édification du mythe culturel.
Alors qu'il discute cinéma avec le journaliste de Libération, il souligne que dans le film "Gabrielle"de Patrice Chéreau, les femmes de chambre portent des coiffes plus anglaises que françaises, ajoutant "mais il n'y a que moi pour remarquer cela". CQFD.
Il souligne également sa capacité de travail hors-norme qui ferait passer Sisyphe pour un tire-au-flanc et les stakhanovistes pour des écoliers sur le chemin buissonnier. Si sa curiosité et son énergie sont indubitables, l'homme aime à rappeler que pour lui, dessiner est une respiration et qu'il se trouve paresseux. Histoire de sous-entendre que sa capacité de travail herculéenne n'est rien à côté de ce qu'elle pourrait être. L'homme est un demi-Dieu, mais il pourrait être Dieu s'il le voulait. Ou le Diable. Ne dit-il pas :
"Ma curiosité est insatiable; je vampirise l'air du temps". ?
Et puis il y a les phrases définitives, de celles qui vous forgent la légende d'un homme:
"Il n'y a plus de mode, rien que des vêtements."
C'est certain, aujourd'hui c'est le genre de déclarations qui vous font passer à la postérité...

Alors qu'en est-il vraiment du K. Lagerfeld : vrai génie ou aura surfaite par le milieu de la mode ?
Il y a une qualité que je ne retirerai pas à Monsieur Lagerfeld: c'est sa curiosité et surtout sa capacité à comprendre le monde qui l'entoure. Mais cela suffira-t'il à le faire survivre à cette époque qu'il chérit tant et qui le lui rend bien ?
Une chose est certaine, Lagerfeld n'est pas de la race des créateurs; il a le talent des faiseurs. Et ce n'est pas rien. D'autant que l'époque n'en demande pas davantage.
Alors qu'il a brillé chez Chloé, qu'il brille chez Chanel, sa propre marque n'a pas vraiment de succès. Elle est loin derrière. Et personnellement, je ne comprends pas l'enthousiasme général de notre milieu pour les collections Chanel. Si chaque saison, je suis bluffé par les techniques de tricotage des collections, le style, lui me laisse de marbre. L'écrin sublime de la boutique de la rue Cambon n'y fait rien. Tout repose sur la communication. Là est le vrai génie de l'"artiste".

Est-ce que cela sera suffisant pour succéder à mademoiselle Coco dans le siècle à venir ?
A trop coller à son époque, KL risque d'être avalé, digéré et oublié aussi vite que le débit de ses paroles.
Et voir ses plus de cinquante années de bons et loyaux services dans le monde de la mode (chapeau !) réduits en poussière dans la mémoire collective.

A moins qu'il ne reste de lui dans le futur que des verres à moutarde ou des crayons de couleur estampillés à son effigie...
Mein Gott !!!!

samedi 19 juin 2010

SOUS LE T-SHIRT, DES DESSOUS SALES







A moins d'être tombé dans un trou ou d'avoir pris une cuite qui a duré sept ans, vous n'avez pas pu échapper à la montée en puissance de la marque californienne American Apparel en matière de mode.
Fondée en 1999, la marque a ouvert sa première boutique en France en 2004, place du Marché St-Honoré, avant d'en essaimer six nouvelles à travers la capitale.




UNE VITRINE RUTILANTE

Le succès de la marque au double A tient avant tout à la personnalité de son fondateur, Dov Charney.

Montréalais de quarante et un an, ce dernier cultive un physique et une esthétique photographique proches de ceux du pape de la culture de mode trash, Terry Richardson.

Jeune étudiant aux Etats-Unis, Charney y achète des stocks de t-shirts Fruit of the Loom dont il est un consommateur compulsif et les envoie à ses amis de Montréal, à charge pour eux de les écouler sur le territoire canadien.

Ce qui n'est, au départ, qu'une activité dilettante va devenir un travail à plein temps et aboutir à la création de la marque American Apparel.

Partant du constat que la totalité des T-shirts vendus aux Etats-Unis sont fabriqués dans des usines délocalisées hors du territoire, Dov Charney va avoir une idée de génie: intégrer verticalement toutes les étapes de l'élaboration de ses produits.

Il se vantera de ne pas confier sa production à des ateliers de misère, les "sweatshops" dénoncés par l'écrivain et journaliste Naomi Klein dans son ouvrage "NO LOGO".

Cela devient même un des arguments marketing de la marque au même titre que le sex-appeal du T-shirt ou l'absence de logos.

Malgré de nombreux résultats encourageants, Dov Charney a beaucoup de mal à convaincre les banquiers californiens de le soutenir dans son développement. Rompus aux délocalisations, ils sont effrayés par sa conception "d'intégration verticale", le Made in USA.

Mais le succès sera au rendez-vous, le réseau des boutiques passant de trois au début de l'aventure à plus de 187 à travers le monde, courant 2007.

Mêlant habilement marketing responsable et discours humaniste, Dov Charney implante son usine dans le Downtown L.A, économiquement sinistré, et le fait savoir sur l'étiquetage de ses vêtements.

Le bâtiment abrite plus de 2500 salariés payés plus de 13 dollars de l'heure quand le salaire minimum garanti aux Etats-Unis est de 8 dollars de l'heure. Les employés bénéficient également de diverses formations (cours d'anglais et d'espagnol) et comme l'annonce le site web de la marque, d'une couverture sociale et de santé comme il n'en existe nulle part ailleurs dans le pays.

Fier de ce qu'il a mis en place, Charney se fend de déclarations aux antipodes du discours économique ambiant:


"Nous savons comment gagner de l'argent, nous n'avons pas besoin d'offrir des salaires de misère."


Tout va donc pour le mieux dans le monde merveilleux de la mode devenue éthique et responsable. Alléluia !!!

Le discours fonctionne et les ventes s'envolent; la presse relaie la success-story à coups d'articles et de communiqués commerciaux, les boutiques continuent de se multiplier et de Paris à New-York, on ne compte plus les donzelles affublées de leggings noirs et les boys arborant fièrement leurs "gymbags" ( Qu'on leur coupe les jambes et les bras !!!).

Sans logo, AA parvient à devenir repérable entre mille: street et mode, libre et flashy, sexy et provoc'... La marque fait tourner les têtes malgré un rapport qualité-prix laissant à désirer. Opération réussie.

BACK-OFFICE SORDIDE (BACK-ROOM ?)

Paradoxalement ce n'est pas du côté du produit que le bât risque de blesser, le consommateur étant trop heureux de se laisser berner; mais c'est plutôt la personnalité de Dov Charney qui risque à plus ou moins long terme d'entraîner la chute de l'enseigne.

Derrière le discours marketing humaniste, la réalité est beaucoup moins sympathique.

Tout commence avec le dépôt de plaintes de quatre employées accusant Charney de harcèlement sexuel, paroles (il donnerait de l'affectueux "salope" à ses collaboratrices) et gestes déplacés et outrageants.

Une plainte a été abandonnée, deux ont donné lieu à un arrangement amiable entre les parties, la dernière, celle de Mary Nelson, est maintenue et devrait donner lieu à un procès.

On passe sur le procès intenté et gagné par Woody Allen pour utilisation non autorisée de son image à des fins commerciales et sur l'habitude de Charney d'accorder ses interviews en sous-vêtements.

Face aux surenchères sexuelles du patron d'American Apparel, des voix s'élèvent pour dénoncer le caractère de plus en plus obscène des campagnes de la marque. Le point culminant en la matière, reste l'utilisation de la Star montante du X, Sasha Grey, cherchant son point G pour vendre une paire de chaussettes...

Mais c'est sur le volet social qu'AA s'est sûrement le plus fourvoyé.

UNITE, un grand syndicat du textile aux Etats-Unis, accuse Charney d'empêcher toute tentative de syndicalisation de ses employés. Il serait suspecté d'avoir exercé des pressions sur ses salariés, ces derniers n'osant pas prendre leur temps de pause tant leur charge de travail est importante.

Charney dément, arguant que ses "employés sont heureux" et ajoutant:


"Je bois avec eux, ils dorment parfois chez nous (?). La base, c'est qu'une fois que vous les payez raisonnablement, vous avez leur confiance."

Un brin condescendant et paternaliste, le Dov Charney...

Le scandale le plus grave, car avéré, est celui provoqué par le contrôle du service d'immigration américain au sein de l'honorable maison du T-shirt.

Résultat: Dov Charney va devoir se séparer de 10% de ses salariés, une partie d'entre eux travaillant de façon illégale sur le territoire américain, l'autre partie utilisant de fausses immatriculations de sécurité sociale.

Une tuile n'arrivant jamais seule, la marque s'est vue accusée au mois de Juillet 2009 de n'employer que des "beautiful people". Cette accusation faite au site d'information américain Gawker émanerait d'une source interne à AA.

La direction demanderait à ses managers de prendre une photo de leurs futurs employés afin de valider ou non leur candidature.

Pour éviter tout traçage, les photos sont transmises par le biais des boîtes mails privées du personnel.

La discrimination ne s'arrêterait pas là: d'après Gawker, les promotions des internes ne sont approuvées qu'après envoi de leurs photos. La source précisant que chez AA:

"votre apparence définit votre statut et le montant de votre salaire".

Avant vos compétences...

Dov Charney se défend en expliquant que seules les personnes ayant un style en adéquation avec celui de la marque sont retenues, les autres étant jugées "hors coup". Dont acte.

Depuis quelques semaines, on peut lire sur plusieurs blogs ou dans la presse des articles offusqués par la marque. La plupart d'entre eux, par paresse ou par inconsistance, la juge par le seul prisme de ses campagnes de publicité désignées comme vulgaires et racoleuses. Mais l'essentiel et le plus grave est éludé: le manquement par la marque à l'éthique dont elle a fait son fonds de commerce. N'en reste que le cynisme...

Quant au milieu de la mode, il s'en tient seulement au vernis qu'il juge "out" oubliant au passage, qu'il avait lui-même adoubé Terry Richardson au temps du Porno-Chic à coups d'articles dithyrambiques et de couvertures vendeuses. Aujourd'hui, les campagnes de Charney choquent quand celles de Richardson pour Sisley faisaient les gorges chaudes des "fashion policies ". Au même titre que le lesbianisme chic de Dior, la zoophilie d'Ungaro, l'onanisme de Saint-Laurent ou les sexes rasés de Gucci...

Il est vrai que c'était en 2000... 2000 ? Too much 2000, Darling ! Totally out !