mardi 13 juillet 2010

POUR VIVRE HEUREUX VIVONS CACHES



Le monde de la mode est très souvent décrit comme celui de toutes les vanités.
Ses acteurs sont perçus comme superficiels, inconséquents, cupides, intéressés, calculateurs, médisants... Pour bien connaître cet univers, je dirais qu'il n'y a pas de fumée sans feu, tout cliché recelant presque toujours un fond de vérité.
L'époque, dévolue à la célébrité, au culte du paraître, à l'image, à la forme plus qu'au fond, a accentué la perception de ces travers de la mode.
Il est évident que si cette dernière ne parvient pas toujours à précéder la société, elle en a, de tout temps, été le reflet. Et aujourd'hui, plus que jamais, le reflet et l'image ont vu leur pouvoir démultipliés par les médias modernes: télévision, photos argentique et numérique, vidéo, cinéma, internet.
Tout le monde réclame son quart d'heure de célébrité et la mode en tant que prescriptrice n'y échappe pas; au gré des pages des magazines, des blogs, les portraits s'étalent, le moindre des quidams se répand, s'épanche, s'auto-congratule, s'écoute, se regarde, s'écoute se regarder et se regarde s'écouter.

Pourtant, pendant longtemps, les artisans de la mode ont vécu leur art de façon intime et discrète. Les femmes qui en avaient les moyens, se faisaient fabriquer leurs toilettes, au sein d'ateliers de quartier, fidèles à leur couturière. Les autres se les confectionnaient elles-mêmes.
Le couturier était un travailleur de l'ombre. Comme le soulignait Christian Dior:
"Son art relevait davantage de l'ornementation que de l'architecture. Les grandes lignes du costume restaient immuables pendant des années. Elles devaient infiniment plus au changement de monarque ou de régime, qu'au caprice du couturier".
Il exerçait un travail modeste.

C'est Charles Frederick Worth qui a bousculé ce statut en le faisant passer de l'ombre à la lumière. Fondateur de la haute-couture, cet anglais, arrivé à Paris en 1845, jeta les bases de l'industrie de la mode telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Original et novateur, il fut le premier à signer ses vêtements (griffes) comme des oeuvres d'art et à les exposer dans des salons. Il se mit à créer une collection nouvelle chaque année, présentée sur des mannequins vivants en mouvement, introduisant ainsi le concept des défilés, de l'exhibition et du changement, propre à la mode.
Fidèles clientes, Eugénie Bonaparte et l'Impératrice Sissi d'Autriche firent beaucoup pour la célébrité et l'avancée sociale de Worth.
Dès lors, le statut du couturier ne va cesser de prendre du galon.

Dans les années 1900, ce sont les comédiennes qui vont mettre la mode sous les feux de la rampe. Sarah Bernardt sera la meilleure ambassadrice de Doucet en étant à la fois, son conseil et sa cliente.
Elle marquera ainsi le début de la collaboration entre les maisons et les actrices. La notoriété de ces dernières rejaillissant sur les marques et leurs créateurs, elles vont, dès les années 70, vendre leur image à prix d'or pour incarner l'univers d'une collection, d'un sac ou d'un parfum.

Gabrielle Chanel fut certainement une des couturières les plus avides de célébrité et de reconnaissance sociale. Pour y parvenir, elle n'hésitait pas à romancer sa biographie en recourant au mensonge et à la fiction. A l'instar d'un Lagerfeld, aujourd'hui.

Durant la deuxième guerre mondiale, la mode fut reléguée aux oubliettes, face aux difficultés quotidiennes pour se nourrir.

Elle réapparaîtra dans la lumière des années 50 avec Christian Dior et le new-look.

Mais c'est certainement Yves Saint-Laurent, dans les années 60 et 70 qui cristallisera toutes les vanités du milieu de la mode. Sa cour verra papillonner autour de lui de jeunes rastignacs du jour et de la nuit, soucieux de partager un peu de sa célébrité. Sa sacralisation, savamment orchestrée par Pierre Bergé, s'incarnera dans le fameux cliché de Jean-Loup Sieff, pour lequel il posa nu, habillé seulement de ses célèbres lunettes en écaille.

Les années 80 vont, elles, donner lieu à une véritable starification des créateurs. La nouvelle garde française émerge avec l'avènement de l'image reine, du clip et de la pub: Gaultier, Lacroix, Mugler. Ce dernier sera l'instigateur de défilés transformés en véritables shows sons et lumières auxquels assisteront des centaines de personnes. Une vraie ambiance de spectacle. De concert.
Les lieux de défilés deviennent de véritables cathédrales, les podiums, des lieux plus courus que les estrades des meetings politiques, les créateurs de véritables sujets télévisuels. On leur demande leur avis sur tout, des documentaires et des reportages leur sont consacrés. Ils occupent la scène médiatique.
Conscients de leur pouvoir émergeant et tombant avec délectation dans le miroir aux alouettes, ils en font des tonnes, en rajoutent. Au risque de se caricaturer.
Dans les années 90, John Galliano se grime de façon grotesque et ses apparitions à la fin des défilés sont des moments aussi attendus que le défilé lui-même.
Karl Lagerfeld refaçonne sa silhouette et se fend de déclarations tonitruantes et acerbes, en héritier de Coco Chanel.
Marc Jacobs, véritablement mis en avant par LVMH, exhibe ses tatouages ridicules et colorés sur tous les magazines de mode.

Les mannequins eux-mêmes vont faire l'objet de toutes les idolâtries. Celles que l'on nommait les "supermodels" dans les années 90, ont pendant dix ans, supplanté les plus grandes stars de cinéma: la forme plutôt que le fond.
Elles font exploser les ventes et l'audimat. Peter Lindbergh consacrera un film documentaire en noir et blanc à ces icônes du moment: Cindy crawford, Claudia Schiffer, Christy Turlington, Naomi Campbell, Stephanie Seymour, Tatjana Patitz, Karen Mulder, Helena Christiansen et Linda Evangelista. Cette dernière fera une déclaration restée célèbre dans le milieu:
"Je ne sors jamais de mon lit pour moins de dix mille dollars par jour."
Le sommet de la vanité.

Aujourd'hui les bloggeuses ont pris le relais; elle ouvrent leurs armoires aux yeux du web, se photographient sous tous les angles, pérorent sur leurs dernières acquisitions, ont un avis (pas souvent objectif) sur le moindre des défilés et boivent comme du petit lait leur nouvelle et relative célébrité.

Impossible d'ouvrir un magazine de mode sans voir une actrice ou une quelconque célébrité vider son sac au sens propre comme au figuré, parler de ses restaurants ou de ses marques préférées. Nous n'échapperons pas à leurs gestes beauté ou aux adresses de mode qu'elles chérissent.

Regarde mon nombril parce qu'il le vaut bien.

Dans ce contexte dégoulinant d'exhibitionnisme et d'auto-satisfaction, un homme fait figure d'exception: Martin Margiela.
Son absence de la scène médiatique s'est transformé en un véritable coup de force marketing. Malgré lui ? Ce n'est pas sûr mais ça suffit à me le faire trouver sympathique. D'autant que tous ceux qui ont pu l'approcher le confirment: l'homme est humble, agréable et discret.
La maison Margiela préfère laisser parler ses créations plutôt que d'occuper les medias à tort et à travers. Raffraîchissant...et reposant.
Comme le blanc, marque de fabrique de la maison, qui par sa lumière et sa distinction a un impact plus fort que le moindre des discours.

Martin Margiela est un anachronisme, un parangon d'élégance et de discrétion dans un cirque de la mode, peuplé de monstres à l'ego boursouflé.
Il prouve que le talent ne fait pas de vagues, sauf pour de bonnes raisons.
En attendant le bûcher des vanités, il est le seul à avoir compris que pour vivre heureux, mieux vaut vivre caché...



3 commentaires:

  1. Ton article et ton blog sont super !
    Bravo et Bonne continuation !

    Xx

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  2. Merci beaucoup Coco ! Ca m'encourage à continuer...
    En espérant te recroiser ici bientôt.

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  3. Salut, je voulais juste relever le fait que l'image des supermodels nues sur le parquet est de Herb Ritts et non de Peter Lindbergh, comme le nom de fichier l'indique :(
    Merci !

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