mardi 20 juillet 2010

LA MORT DE LA HAUTE-COUTURE: UN SERPENT DE MER


Les défilés de haute-couture, en ce début du mois de Juillet, à Paris, ont fait ressurgir, dans les conversations "autorisées" et les journaux de mode en mal d'un sujet "sérieux", l'éternelle question de la pérennité de la haute-couture, à l'heure du prêt-à-porter de luxe de masse.

Mille fois donnée moribonde et dernièrement lors de la disparition de la maison Lacroix, elle nous a, lors de ces derniers défilés automne-hiver 2010-2011, prouvé une fois de plus, qu'elle était belle et bien vivante.

Qu'on ne s'y trompe pas: tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes luxueux mais les maux de la haute-couture sont les symptômes, non pas d'une mort imminente, mais d'une maladie chronique.
Prenons l'exemple de Christian Lacroix. La disparition de sa maison a été diagnostiquée un peu rapidement comme la mort inévitable de la haute-couture face au mal de la crise économique. A y regarder de plus près, les raisons de ce marasme n'ont rien à voir avec la crise (celle-ci n'a fait que porter le coup de grâce à une situation désastreuse préexistante) et concernent davantage le prêt-à-porter de la maison que sa haute-couture.
De toute façon, par essence, cette dernière ne peut être rentable puisqu'elle doit rester rare. Comme le souligne Jean-Jacques Picart, elle "ne peut être considérée comme une activité commerciale à part entière mais de plus en plus comme l'expression d'un art".
Or, en la matière, on peut dire que la maison Lacroix excellait. Son créateur, riche d'un univers particulier et doué d'un savoir-faire extraordinaire, n'a cessé tout au long de sa carrière de tutoyer l'art, n'hésitant pas parfois, à converser avec lui, notamment en créant des scénographies et des décors pour des pièces de théâtre.
Normalement, le prêt-à-porter, lui, est là, au contraire, pour être profitable. Et concernant Lacroix, ça n'a pas été une sinécure. On peut même dire que ça a été l'inverse. Comment retranscrire cette débauche de richesse de la haute-couture maison dans un prêt-à-porter moderne et frais, sans y perdre son âme ? C'est justement ce qui a été impossible.
A chaque fois je me suis rendu sur ses corners des grands magasins, j'ai pu mesurer combien il a dû être douloureux pour Christian Lacroix, de faire entrer sous la pression de ses financiers, l'étendue de son univers merveilleux, vaste et grandiose dans la petite boîte étriquée du prêt-à-porter "marketé", fût-il de luxe.
Cette petite boîte, devenue celle de Pandore, a fini par le tuer. Les chantres du profit à tout prix ont eu raison de l'Artiste.
Ce qui était féerique et fabuleux sur les podiums haute-couture a viré au tragique hideux, une fois passé à la moulinette du prêt-à-porter. La sublime Marie Seznec s'est métamorphosée en Bernadette Chirac naphtalinée...
Chez Lacroix, c'est le prêt-à-porter qui a fini par tuer la haute-couture. Un conte de fées revisité: la belle Princesse s'est transformée en vilain crapaud et plutôt que de vivre heureuse avec le Prince pour l'éternité, ce dernier a été piétiné puis déchu et assassiné par ses valets, courtiers en valeur ajoutée pour luxe boursicoté. Merci LVMH.

C'est bien là que se cache la vérité du diagnostic de la haute-couture: de santé fragile, elle vit sous la perfusion des profits du prêt-à-porter. Ce sont eux qui servent à la financer. Elle ne peut très longtemps, vivre sans. La situation de Lacroix était donc perdue d'avance ? Sans prêt-à-porter rentable, la haute-couture Lacroix était-t'elle condamnée? Rien ne peut l'assurer et encore moins si Lacroix, un peu moins gourmand s'était tenu éloigné des requins de la finance. A vouloir avoir les yeux plus gros que le ventre, il a fini par se faire croquer par plus grand que lui.
Alors, oui, c'est vrai, cent millions de parfums ou cent mille sacs rapporteront plus qu'une robe haute-couture à son créateur mais est-ce à dire que la haute-couture ne peut plus vivre pour elle-même ? Et finalement, est-ce que cette relation entre haute-couture et prêt-porter de luxe est unilatérale ? La première ne subsiste t'elle que grâce au second ? Ce serait trop simple.
Si la haute-couture existe toujours, c'est aussi parce que les grandes maisons y voient des retombées en terme d'image et de créativité et donc de vente... du prêt-à-porter. Le serpent de mer finit même par se mordre la queue.
C'est la haute-couture qui va être le moteur du désir d'appropriation par la consommatrice. La cliente lambda ne peut s'offrir une robe couture à 250.000 euros ? Qu'à cela ne tienne, on lui vendra la robe prêt-porter à 2 500. Elle ne peut toujours pas ? Elle pourra toujours se rabattre sur le sac à 1 200. Non plus ? Ben, pourquoi pas le parfum ? Elle pourra ainsi posséder un morceau de luxe inaccessible. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse...
La haute-couture édifie les mythes et fait toute la différence entre une grande maison, au passé et aux clientes prestigieuses comme Dior ou Chanel, en inscrivant leur nom au firmament de l'éternité et de petits créateurs assi talentueux soient-ils, comme Isabel Marant ou Vanessa Bruno, qui verront leur nom lié à une époque pour au mieux, une trentaine d'années.

Et puis la haute-couture crée surtout le désir de celles qui peuvent se l'offrir; et même si elles restent minoritaires, elles sont rarement touchées par les effets de la crise. Leur seule existence justifie celle de la haute-couture, bien au-delà de son rôle de locomotive de toute une industrie de la mode. On peut donc affirmer, pour cette seule, simple et bonne raison, qu'elle se suffit à elle-même.
S'offrir une pièce haute-couture c'est signifier qu'on appartient à un cercle restreint; c'est un moyen de reconnaissance sociale. Et ce besoin est très fort au sein des nouvelles fortunes originaires de Russie, de Chine ou d'Inde. Les femmes issues de ces pays entrent en haute-couture comme on entre en religion. Avec dévotion. Et au rythme où se bâtissent les fortunes dans leurs pays, tout laisse à penser que grâce à elles, et non plus seulement, aux seules américaines, aux moyen-orientales ou aux têtes couronnées, la haute-couture vivra des lendemains qui chantent.

Et ce n'est pas cette saison hiver 2010-2011 qui le démentira. On peut même dire qu'elle a pris des paris sur l'avenir en faisant une belle part aux inspirations de la nature pimpante et aux coloris clairs ou chatoyants. Pour la haute-couture, la crise est loin derrière. N'a t'elle d'ailleurs jamais existé ?
Activité florissante après-guerre, la haute-couture s'est réduite comme peau de chagrin avec la naissance du prêt-à porter, au point de ne plus concerner qu'une poignée de maisons.
Et parmi elles, la maison Givenchy, qui cette saison, a décidé de ne pas défiler. La faute à la crise ? Que nenni ma bonne Dame ! Son directeur artistique, Ricardo Tisci veut simplement que la haute-couture reste un moment exceptionnel et pour cela quoi de mieux que dix silhouettes présentées place Vendôme, sur rendez-vous ? De toute façon, la majorité de ses clientes, des têtes couronnées, ne viennent jamais aux défilés pour des raisons de sécurité. Alors qu'Anna Wintour... C'est toute la différence entre l'héritière et la modasse.

D'autres comme Anne-Valérie Hash ont préféré faire l'impasse pour préserver envie et créativité et ne pas sombrer dans les écueils d'une couture "marketée" et rythmée comme un prêt-à-porter de luxe.

Alexis Mabille préfère laisser le défilé à son prêt-à-porter afin d'éviter la confusion des genres.

Et puis, si certains n'ont pas défilé, d'autres ont transformé l'essai de la saison passée et assis leur place dans ce calendrier des défilés comme la talentueuse et rigoureuse Bouchra Jarrar.

La haute-couture est morte ? Vive la haute-couture !

Inspirations florales chez Dior et Chanel
Celles des galets de l'enfance et des couleurs de l'orage chez Stéphane Rolland
Des coloris lumineux, de la richesse, de la brillance et du brio chez Givenchy
De la rigueur moderne, du bicolore et de l'or chez Bouchra Jarrar

En France, la "haute-couture" est une appellation juridiquement protégée qui répond à un certain nombre de critères. Etablis en 1945, ces derniers ont été actualisés en 1992. La chambre syndicale de la haute-couture ne reconnaît une maison de confection comme maison de haute-couture que si celle-ci emploie un minimum de quinze personnes dans les ateliers, présente chaque saison une collection à Paris devant la presse avec au moins trente cinq passages composés de modèles du jour et du soir.
Ce savoir-faire artisanal perdure depuis plus de cent cinquante ans et est basé sur un travail des ateliers et des paruriers (plumassiers, brodeurs, modistes, etc...).
Tous les six mois, les maisons qui bénéficient de l'appellation "haute-couture" se réunissent pour décider, sur dossier, d'autoriser un styliste à défiler comme invité.

Aujourd'hui dix maisons ont une activité de haute-couture: Chanel, Dior, Givenchy, Gaultier, Anne-Valérie Hash, Dominique Sirop, Franck Sorbier, Adeline André, Maurizio Galante, Stéphane Rolland.
Les autres sont des invités triés sur le volet: Elie Saab, Armani, Valentino, Maison Martin Margiela, Josephus Thimister, Alexis Mabille, Christophe Josse, Rabih Kayrouz, Adam Jones, Gustavo Lins, Bouchra Jarrar.

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