samedi 26 juin 2010

MOD'ART

HUGH BURNS

Pendant longtemps, la mode a été considérée, au pire comme un artisanat, au mieux comme un art appliqué.
A travers l'histoire de l'humanité, jamais avant le XXe siècle, elle n'avait été envisagée sous un angle artistique.
Le milieu de la mode a d'ailleurs, souvent nourri un complexe d'infériorité vis à vis du monde de l'Art; nombre de stylistes ou de créateurs se rêvant artistes.
Le XXe siècle est venu bouger les lignes, faisant entrer les pièces de couturiers dans les musées ( Musée de la mode d'Anvers, Musée de la mode de Hyères, expositions récurrentes sur le sujet au Albert Museum de Londres, au Musée des Arts Décoratifs de Paris, au Metropolitan de New-York) et faisant acquérir par une poignée d'avertis richissimes des oeuvres d'art au même rythme qu'ils achètent des chemises.

Auparavant, quels que soient les siècles, les cultures et les sociétés, la mode vestimentaire n'avait aucune velléité artistique. Sa fonction était avant tout utilitaire, soit pour affirmer une appartenance sociale, soit pour plaire aux Dieux.
La beauté et la magnificence n'y étaient pas désintéressées comme elles le sont dans l'Art. Au contraire, la vocation était d'affirmer un pouvoir ou de tenter de plaire à la toute-puissance des Dieux.

En Egypte ancienne, par exemple, les bijoux portés par les hommes et les femmes n'avaient pour but que de distinguer les classes aisées des paysans.
Si ces pièces trônent aujourd'hui dans les musées et ont acquis valeur d'oeuvres d'art, elles étaient très loin de cette notion, à l'époque.
Le vêtement était surtout utilitaire et révélateur d'une appartenance à une caste.
Les Pharaons étaient parés de leurs plus beaux atours pour faciliter leur entrée dans le monde des Morts et entrer en contact avec les Dieux.

Les siècles suivants continuent à perpétuer ces fonctions de la mode, la laissant bien en deçà des hautes sphères artistiques.
Les seules connections que l'on pourrait établir entre mode et art à travers ces siècles se lit sur les tableaux des portraitistes attachés aux cours et grandes familles d'Europe où la peinture ayant pour but de "photographier" le sujet, le fait à coup de moult détails académiques, notamment vestimentaires.
Man Ray reproduira le procédé en photo plus tard, immortalisant les plus grandes égéries de la mode du début du XXe siècle (Nancy Cunard, Lee Miller, etc...).


C'est certainement avec Paul Poiret, au XXe siècle naissant, que mode et art vont commencer à collaborer. Couturier français, Paul Poiret fut considéré comme le précurseur de l'Art Déco. Il débute comme dessinateur de mode en 1898 chez Doucet, travaille ensuite pour la maison Worth avant de lancer sa maison de couture. Passionné par le dessin, il demande à Paul Iribe de dessiner son catalogue, "les robes de Paul Poiret dessinées par Paul Iribe".
Il lancera des imprimés audacieux pour l'époque en collaboration avec le peintre Raoul Dufy.
En 1928, il publie un annuaire de luxe à Paris, illustré de cent seize pages en noir et blanc et couleur par les plus grands artistes de l'époque: Boucher, Cocteau, Dufy, Foujita, Sem, ...

Elsa Schiaparelli, la rivale de Coco Chanel puisera encore plus directement dans le travail de ses amis artistes, membres du mouvement surréaliste: Cocteau, Giacometti, Dali. C'est ce dernier qui lui inspira ses modèles les plus célèbres dont la fameuse robe cocktail au homard peint directement sur le tissu. Cette robe fera d'ailleurs l'objet d'une nouvelle interprétation par la jeune marque Heal
  
                                                                                                        
Saint-Laurent, quant à lui, trouvera avec la robe trapèze, si flatteuse pour la silhouette, la base parfaite pour y appliquer les motifs géométriques de Mondrian.
A la même époque, dans les années 60, les révolutions politiques, intellectuelles et esthétiques vont enrichir la collaboration entre art et mode. Le 7e Art sera un lieu d'expression où les artistes feront une place plus ou moins stéréotypée à la mode en l'utilisant comme sujet de leurs films. Ce sera le cas de l'artiste William Klein et son délire psychédélique avec "Qui êtes-vous Polly Maggoo?" ou Antonioni qui mènera une réflexion sur le pouvoir de suggestion de l'image à travers le personnage d'un photographe de mode dans le mythique "Blow up". 

Aujourd'hui, les liens entre la mode et l'Art, notamment contemporain, sont de plus en plus ténus, les deux univers fusionnant parfois.
Dès les années 70 et 80, les illustrateurs, devenus faiseurs d'images avec l'époque, font des ballets incessants entre l'art, la mode et la publicité: Antonio Lopez pour Saint-Laurent, Jean-Baptiste Mondino pour Mugler, Jean-Paul Goude pour Gaultier.
Les créateurs et les stylistes ont toujours eu une riche culture artistique dont ils nourrissent leur travail mais aujourd'hui certains ont décidé d'aller plus loin: Agnès B. a ouvert sa propre galerie, Marc Jacobs collectionne les artistes et les designers contemporains, Vanessa Bruno collabore avec son frère photographe et vidéaste.
Pendant longtemps, l'inverse n'a pas été vrai. Les artistes se souciaient peu de la mode. Mais avec la jeune génération d'artistes actuels les choses changent. Purs produits de leur époque faîte de valeurs marchandes et ayant vu, parfois, eux-mêmes, le prix de leurs oeuvres exploser, ils ne rechignent pas à mettre un pied dans la mode, créatrice de désirs consuméristes.
Certains peignent ou photographient les figures du milieu (Elizabeth Peyton), d'autres s'improvisent mannequins (Tracey Emin pour Vivienne Westwood), les derniers interviennent directement sur la création des collections des maisons (Stephen Sprouse -même post mortem- ou Murakami pour Vuitton).

Des artistes comme Vanessa Beecroft ou Sylvie Fleury font même le chemin inverse. Elles ne mettent pas leur art au service de la mode mais c'est directement en elle qu'elles trouvent leur inspiration. La performance de Beecroft ci-dessous rappelle les créatures d'Helmut Newton.                                                     

De nombreux photographes ont fait des séries de mode pour des raisons alimentaires, loin de s'imaginer qu'ils allaient donner à la profession certaines de ses plus belles lettres (images ?) de noblesse. Ce fut le cas d'Avedon, de Lee Miller ou de Steichen,...
D'autres comme Guy Bourdin ont élevé la photo commerciale de mode au rang d'oeuvre d'art. Le Albert Museum de Londres lui a même consacré une rétrospective pour sa saga publicitaire "shootée" dans les années 80 pour la maison Charles Jourdan.             


De nos jours, l'image et la photo, ayant pris une place prépondérante dans nos sociétés, les magazines de mode multiplient les clins d'oeil aux oeuvres d'artistes, quels que soient leur mode d'expression, leur courant ou leur époque. Le jeu étant de trouver l'oeuvre, le tableau qui correspondra le mieux à l'expression des tendances du moment.
Petits exemples avec Archimboldo et Dante Gabriel Rossetti...  
     
          Archimboldo (ci-dessus)     Dante Gabriel Rossetti (ci-dessous)
                                                  


La rétrospective consacrée à Yves Saint-Laurent au Grand Palais cet hiver a frappé les esprits tant l'évènement était nouveau. Pour la première fois en France, un grand musée national ouvrait ses portes à un couturier, élevant par là-même son savoir-faire au rang des arts.
Le XXe siècle et aujourd'hui, le XXIe ont permis le décloisonnement des disciplines pour le plus grand plaisir des yeux. Et c'est tant mieux...
Cependant, l'idée de voir nos musées se transformer en boutiques scénarisées, les vêtements y étant présentés fussent-ils de haute-couture, peut avoir quelque chose de déprimant.
Parce qu'un vêtement ne sera jamais aussi beau et vivant que porté par un corps en mouvement...
                                               

                                                   

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