jeudi 24 juin 2010

LE K. LAGERFELD

Karl Lagerfeld a encore frappé fort: le voilà invité spécial de l'édition du 22 Juin du journal Libération.
Il y parsème les articles de fond de croquis exécutés aux fards U Shu Uemura.
Celui qui est vénéré par toute la planète fashion multiplie les casquettes et les projets dans un tourbillon de suractivité.
La sécurité routière, l'habillage et la campagne Coca Cola Light, les multiples collections de Chanel, Fendi, Lagerfeld Gallery (mais aussi la ligne K. par Karl Lagerfeld), la photo, sa maison d'édition 7L, ses articles sur l'architecture,... rien ne l'arrête.
Touche-à-tout et omniprésent, le grand Karl occupe l'espace laissé vacant par les derniers grands créateurs.
Ancré dans le présent, il applique à la lettre l'héritage laissé par Andy Warhol en y ajoutant sa propre dimension: bâtir lui-même son mythe.

KARL LAGERFELD: UN PRODUIT WARHOLIEN

Bien qu'il prétende ne pas l'apprécier, confiant à Libération:

"La Factory est un cliché d'une autre époque, de quelqu'un qui, entre nous, n'était pas très bon."

Lagerfeld doit plus à l'artiste albinos qu'il ne veut l'admettre, ne pouvant s'empêcher d'ailleurs de faire un parallèle entre leurs deux personnalités:
"Je connaissais Warhol mais ça ne veut rien dire; personne ne le connaissait intimement. Il était encore plus abstrait que moi..."
En effet, comme le Patron de la Factory à la sienne, Lagerfeld a compris son époque : l'hyperpuissance des médias et de la consommation de masse.
Tout comme Warhol a réifié Marylin Monroe ou Liz Taylor, Lagerfeld se chosifie lui -même. Premier styliste de son époque, statut auquel il a donné ses lettres de noblesse en multipliant les produits Chloé pendant plus de vingt ans, il est peu à peu devenu un objet au même titre que ses créations.
Comme le souligne le journal Libération, "il est l'un des rares personnages que l'on reconnaît au premier coup d'oeil, serait-il vu de Mars."
Comme les boîtes de conserve de soupe Campbell, K. Lagerfeld voit sa silhouette "photoshopée" accolée à la bouteille de Coca Light qu'il vient de redessiner.
Son catogan, son slim hérité de l'époque Slimane chez Dior Homme et sa ligne délestée, depuis 2002, des 42 kgs qui l'encombraient, envahissent l'espace médiatique.
De jeunes créateurs l'utilisent même comme branding: personne n'a raté le fameux KARL WHO ? de la jeune maison iconoclaste Narco.

Quoiqu'il en dise, Karl Lagerfeld a fait sienne la prédiction de Warhol: devenir célèbre grâce à la télévision.
Certains le décrivent comme discret, la preuve étant, par exemple, qu'il refuse de rédiger son autobiographie. Ce n'est qu'illusion. Le Kaiser de la mode a très vite compris ce que les médias peuvent lui apporter en notoriété. Et il faut dire qu'il a l'esprit assez vif et la langue bien pendue pour y briller. A une époque où il n'y a plus le temps pour une réflexion approfondie, les phrases légères et assassines de Lagerfeld font mouche. Parfaitement formatées pour la télévision et la presse jetable. Comme les collections, il enchaîne les mots d'esprit drôlement vachards.
Celui qu'on décrit comme très occupé, trouve toujours un moment pour descendre dans l'arène médiatique: M. Lagerfeld a un avis sur tout et le fait savoir. Dernier raout en date: Audrey Tautou taxée de "provinciale".

Les shows de ses défilés sont aussi un parfait exemple de ce que doit la mode à la société du spectacle. Lors du dernier défilé Chanel Hiver 2010-2011, la présence d'immenses icebergs sous la verrière du Grand Palais a plus fait gloser les rédactrices que le contenu de la collection.
Il nous promet pour la prochaine saison, un lion de 25 mètres de haut, la patte reposée sur une perle d'où sortiront les mannequins. Génie créatif ou mégalomanie ? Assurément spectaculaire et KL a bien compris comment faire parler de Chanel... et donc de lui.
Son goût pour le spectacle et la mise en scène lui est rendu au centuple par les medias: on ne compte plus les reportages de Loïc Prigent sur le Monsieur sans compter le documentaire que lui a consacré Rodolphe Marconi, présenté à Berlin, il y a deux ans.

Enfin, tout comme Andy Warhol a eu sa cour, KL possède la sienne. Il s'en défend mais comme Warhol a façonné Joe Dalessandro, Karl façonne Baptiste Giacobini (et Jacques de Bascher avant lui ). Tout comme Warhol  a eu Nico et Ultra Violet pour muses, Lagerfeld possède Amanda Harlech et Freja Beha.
Il prétend détester l'effet de bande mais force est de consater qu'il n'échappe pas au commun des mortels.

Cette omniprésence médiatique du styliste au catogan a un but précis: l'édification de son propre mythe.

KARL LAGERFELD: UN PRODUIT MYSTIFIE

Dans son ouvrage, "Beautiful People", Alicia Drake souligne l'effacement de Lagerfeld durant le règne d'Yves Saint-Laurent. Ce dernier, élevé au Panthéon des créateurs laisse peu de place à celui qui n'est considéré que comme un styliste.
A la mort de Saint-Laurent et avec lui, celle d'une époque révolue, Lagerfeld a le champ libre.
L'ancêtre des stylistes peut enfin prendre ses aises dans un monde qui leur appartient désormais: le créateur est mort ? Vive le styliste !
Alors que Pierre Bergé, du vivant de Saint-Laurent, mais encore bien plus depuis sa mort, s'emploie à bâtir la légende de ce dernier, Lagerfeld va s'employer à bâtir la sienne tout seul.
Il va d'abord semer le doute afin de créer le mystère. Il dit par exemple être né en 1938 alors que certains prétendent qu'il serait né en 1933. Le procédé relève des plus grosses ficelles des stars hollywoodiennes des années 40, Greta Garbo en tête.
De même, il ne cesse de donner des informations contradictoires sur ses origines sociales et familiales, n'hésitant pas à embellir la réalité. Un vrai procédé romanesque de mystification...

Lagerfeld se joue de ces approximations qui nourissent l'interrogation et l'imaginaire de ses interlocuteurs. De toute façon, il n'a jamais peur de se dédire, déclarant par exemple que les grosses n'ont pas leur place dans la mode et photographiant l'effeuilleuse grassouillette, Dirty Martini, sur l'escalier de la Maison Chanel, rue Cambon, pour le magazine américain V, quelques semaines après. Faire parler...
Et puis qu'on se le tienne pour dit, M. Karl assène:
"Mon plus grand luxe est de n'avoir à me justifier auprès de personne".
Assurant ne pas aimer les récompenses, il accepte La Légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy, le 3 Juin dernier, comme il a d'ailleurs accepté le Prix du meilleur styliste haute-couture, il y a quelques années.

Tout son talent réside dans sa capacité à ramener la moindre des conversations à son savoir ou à sa personne. Il ne cesse au fil de ses interviews de parler de ses lectures et de sa bibliothèque mais aussi de sa capacité à lire en anglais, allemand ou français. Édification du mythe culturel.
Alors qu'il discute cinéma avec le journaliste de Libération, il souligne que dans le film "Gabrielle"de Patrice Chéreau, les femmes de chambre portent des coiffes plus anglaises que françaises, ajoutant "mais il n'y a que moi pour remarquer cela". CQFD.
Il souligne également sa capacité de travail hors-norme qui ferait passer Sisyphe pour un tire-au-flanc et les stakhanovistes pour des écoliers sur le chemin buissonnier. Si sa curiosité et son énergie sont indubitables, l'homme aime à rappeler que pour lui, dessiner est une respiration et qu'il se trouve paresseux. Histoire de sous-entendre que sa capacité de travail herculéenne n'est rien à côté de ce qu'elle pourrait être. L'homme est un demi-Dieu, mais il pourrait être Dieu s'il le voulait. Ou le Diable. Ne dit-il pas :
"Ma curiosité est insatiable; je vampirise l'air du temps". ?
Et puis il y a les phrases définitives, de celles qui vous forgent la légende d'un homme:
"Il n'y a plus de mode, rien que des vêtements."
C'est certain, aujourd'hui c'est le genre de déclarations qui vous font passer à la postérité...

Alors qu'en est-il vraiment du K. Lagerfeld : vrai génie ou aura surfaite par le milieu de la mode ?
Il y a une qualité que je ne retirerai pas à Monsieur Lagerfeld: c'est sa curiosité et surtout sa capacité à comprendre le monde qui l'entoure. Mais cela suffira-t'il à le faire survivre à cette époque qu'il chérit tant et qui le lui rend bien ?
Une chose est certaine, Lagerfeld n'est pas de la race des créateurs; il a le talent des faiseurs. Et ce n'est pas rien. D'autant que l'époque n'en demande pas davantage.
Alors qu'il a brillé chez Chloé, qu'il brille chez Chanel, sa propre marque n'a pas vraiment de succès. Elle est loin derrière. Et personnellement, je ne comprends pas l'enthousiasme général de notre milieu pour les collections Chanel. Si chaque saison, je suis bluffé par les techniques de tricotage des collections, le style, lui me laisse de marbre. L'écrin sublime de la boutique de la rue Cambon n'y fait rien. Tout repose sur la communication. Là est le vrai génie de l'"artiste".

Est-ce que cela sera suffisant pour succéder à mademoiselle Coco dans le siècle à venir ?
A trop coller à son époque, KL risque d'être avalé, digéré et oublié aussi vite que le débit de ses paroles.
Et voir ses plus de cinquante années de bons et loyaux services dans le monde de la mode (chapeau !) réduits en poussière dans la mémoire collective.

A moins qu'il ne reste de lui dans le futur que des verres à moutarde ou des crayons de couleur estampillés à son effigie...
Mein Gott !!!!

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